L’ÉCHARPE ROUGE
Christophe Barbier, publié le 03/02/2020

Ça y est, Elsa a trouvé sa voie : le théâtre. Passer des auditions, assister aux cours, bousculer sa nature, puis monter à Paris, décrocher une plus grande école, supporter les professeurs, courir les castings, affronter le regard, l’opinion des autres, la compétition féroce, le business, la violence derrière l’art…
Elsa, heureusement, n’est pas seule en cette aventure. Il y a derrière elle, fébrile et bruyante, toute sa tribu niçoise. La mère, fumeuse invétérée, stressée jusqu’au fond de son ADN. Le père, si affectueux sous ses bougonnements et tellement fier de cette fille dont il critique tous les choix. La grand-mère paternelle, à l’accent péché au fond de la Méditerranée. La grand-mère maternelle, fragile et si philosophe. Tous un peu fous, tous attachants. « Tais-toi! », crie à chaque instant à Elsa l’époque difficile où elle grandit. « T’es toi », répond sa petite voix intérieure, son âme d’airain. Sa vocation. T’es toi! : c’est le titre du spectacle.

Sur la scène minuscule du théâtre de la Huchette, coffret de perles précieuses cultivées par le directeur des lieux, Franck Desmedt, Eva Rami fait vivre à elle seule tout ce petit zoo affectueux, avec une énergie incroyable et, surtout, une précision parfaite. C’est essentiel dans ce genre de spectacles « seul en scène » : que chaque personnage que l’on campe soit identifié, reconnaissable, présent clairement, même s’il n’apparaît que durant une demi-seconde fugace.

Bien sûr, on pense à Philippe Caubère, et le destin n’est pas si différent, en effet, entre l’épopée de Ferdinand dans le Théâtre du Soleil et le périple d’Elsa au XXIe siècle. Les mêmes espoirs, les mêmes illusions, les mêmes idéaux, la même fougue, cet élan vital sans lequel le théâtre ne serait rien. Elsa vit sans nul doute des épisodes moins spectaculaires que Ferdinand, elle ne s’inscrit pas, pas encore, dans une mythologie théâtrale, mais elle est déjà présente, familière, attachante. Ce que nous dit Eva Rami, c’est qu’il faut poursuivre son rêve, coûte que coûte, sans jamais détester l’espèce humaine – Alceste est bien loin – ni jamais désespérer.
Photos Laurencine Lot
L’EXPRESS – L’ÉCHARPE ROUGE
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