« Et le cœur fume encore » de La Compagnie Nova : enfin des mots sur les blessures

© Loic-Nys

Avec Et le coeur fume encore au Festival OFF d’Avignon 2019, La Compagnie Nova signe une création époustouflante avec pour thème la guerre d’Algérie. L’avis et la critique théâtre de Bulles de Culture sur cette pièce coup de coeur.

Synopsis :

Ils et elles sont pied-noirs, appelés membres du FLN en France, kabyles, officiers de l’armée française, militants. La Compagnie Nova  les a rencontré-e-s, a écouté leur témoignage sur le conflit franco-algérien. Nous les suivons, de ce qu’elles et ils étaient à ce qu’elles et ils sont devenu-e-s.

Et le coeur fume encore : une création choc au Festival OFF d’Avignon 2019

Ils et elles sont la génération des enfants et des petits-enfants. Ils et elles sont parti-e-s à la quête des témoignages de leurs proches, d’ami-es de proches, de connaissances. De ces rencontres est née la matière de leur création, orchestrée et ré-écrite par Alice Carré, mise en scène par Margaux Eskenazi. À cette matrice née des souvenirs s’ajoute un arrière-plan littéraire et artistique : de la figure de l’écrivain algérien Kateb Yacine au discours d’entrée à l’Académie française de l’auteure algérienne Assia Djebar (pseudonyme de Fatima-Zohra Imalayène) en passant par le procès de l’éditeur français Jérôme Lindon, la création littéraire comme arme de résistance est au cœur du projet.

Pour donner vie à cette fresque, Armelle Abibou, Elissa Alloula, Malek Lamraoui, Yannick Morzelle, Raphael Naasz, Christophe Ntakabanyura et Eva Rami se retrouve chacun-e à incarner différents personnages. La Compagnie Nova a fait le choix de ne pas sexualiser ses rôles ; certains rôles masculins sont ainsi pris en charge par des comédiennes. De même, aucune importance n’est donnée à l’origine des comédien-ne-s dans l’attribution des rôles. Il en résulte un jeu époustouflant. Tou-te-s sont justes, absolument justes.

Ce qui fait encore la force et la réussite de Et le coeur fume encore, c’est l’attention portée à représenter sans parti pris des individus de tous les « camps », de toutes les sensibilités. Des appelés qui se plient à la torture à ceux qui la refusent, en passant par le colonel de métier qui rejoint l’OAS ; des pieds-noirs qui fuient aux militant-e-s FLN en France ou en Algérie, en passant par les harkis. La pièce englobe le spectre large de tous les choix, de tous les engagements.

Et le cœur fume encore : une œuvre mémorielle d’une absolue nécessité

© Loic-Nys

Et le cœur fume encore a cette valeur précieuse de la mémoire recueillie, de la parole écoutée, entendue, confiée. Margaux Eskenazi met brillamment en scène ces témoignages parfois difficilement consentis, ce frein qu’il y a encore à raconter un conflit dont les horreurs ont été d’autant plus horribles qu’elles ont été tues, qu’elles le sont encore aujourd’hui. En tout cas, les récits recueillis n’ont pas été trahis. Ils trouvent dans la pièce une valeur extraordinaire.

Pas de manichéisme, pas de jugement, pas de tabou. La question de la torture est traitée avec justesse, celle du rapport qu’entretiennent aujourd’hui les appelés avec cette horreur l’est encore davantage. L’arrachement à la terre est prégnant. Les engagements résonnent d’échos dissonants ou concordants. C’est une fresque complexe et fascinante qui se déroule avec cette pièce. Arriver à aborder le conflit dans toutes ses facettes, arriver à questionner la résurgence de ce conflit dans les mentalités d’aujourd’hui, c’était un sacré défi, et il est relevé avec un talent infini.

Car ce spectacle fuit les facilités et le pathos. On est tour à tour ému-e-s, sidéré-e-s, abasourdi-e-s, , frappé-e, interloqué-e-s. Mais pas un gramme de pathos. Margaux Eskenazi et Alice Carré ont même cherché l’humour, le ridicule et l’ont trouvé. On se trouve ainsi à la fois touché-e et amusé-e par ces retrouvailles d’anciens combattants trente ans après le conflit. On rit du ridicule de la situation, et pourtant, tous les personnages nous attendrissent.

Et le cœur fume encore est une oeuvre courageuse, audacieuse et absolument prodigieuse. L’une de celles qui ne laisse pas indemne, qui vient entrer en écho avec tous les récits que l’on peut entendre, que l’on voudrait entendre. Et à la sortie, le coeur noué, on se dit qu’on serrerait volontiers son grand-père fort dans ses bras ; on se dit que jamais on n’oubliera qu’on porte sa mémoire et qu’à notre tour, un jour, nous devrons la transmettre. C’est un spectacle coup de cœur de Bulles de Culture.

Tweet de Bulles de Culture

En savoir plus :

Et le coeur fume encore se joue au festival Avignon Le Off 2019, au 11 • Gilgamesh Belleville à Avignon, du 5 au 26 juillet à 18h05. Relâches les 10 et 17 juillet

Tournée : 8 novembre 2019 à Grange Dîmière – Théâtre de Fresnes ; 29 novembre 2019 au Centre culturel Le Marque-p@ge de Norville ; du 7 au 19 décembre 2019 au Théâtre Gérard Philipe – Centre Dramatique National de Saint Denis ; 3 mars 2020 au Théâtre du Vésinet Alain Jonemann

Durée du spectacle : 1h45

La Compagnie Nova (site officiel)

♥ [Critique Avignon Off] « Et le coeur fume encore » de La Compagnie Nova : enfin des mots sur les blessures – 2019-07-20